vendredi 27 avril 2012

Enquête exploratoire 1/3 : la technique théâtrale du Virtual Visual


    L'angle du théâtre désormais validé, il convient dans un premier temps de se confronter directement à la relation entre le théâtre et les personnes sourdes et malentendantes. 
Quelle réaction ont les sourds et les malentendants face au théâtre ? 

    Cette question nous amène à cette nouvelle interrogation: quel théâtre ? 
Puisque nous souhaitons observer très simplement un comportement, il s'agit dans un premier temps d'observer un théâtre qui ne soit pas adapté aux personnes sourdes et malentendantes, un théâtre où ni déficient auditif ni entendant ne se trouvent en situation de handicap.


Enquête exploratoire

 

    Je me suis donc rendue à l'International Visual Theatre, à Paris, pour assister à la représentation théâtrale de Simon Attia, professeur de théâtre et comédien, qui a animé un atelier de pratique artistique sur les techniques du « virtual visual ». Créé aux États-Unis dans les années 60, le VV est une technique de narration visuelle qui nécessite une implication corporelle totale de la part du comédien qui la pratique. Il n'est fait aucune utilisation de la langue des signes française ni du langage. Simon Attia, le VV relève de la chorégraphie avec les mains et le corps. "Les thèmes des saynètes ont été choisis à partir de quatre thèmes: une personne, un objet, un déplacement, un animal. L’inspiration provient d'images personnelles de l'esprit (un porte-avion...), parfois de BD. Il s'agit de faire ressortir des images sur des choses simples. Ce n'est ensuite pas un simple geste qui est réalisé mais un focus sur les éléments. Il s'agit d'aller chercher des choses en soi".

 


    Arrivée à l'IVT, je suis confrontée à une vraie difficulté. Face à moi dans le hall du théâtre, les personnes ne communiquent qu'en langue des signes française (LSF) y compris le jeune barman qui semble visiblement malentendant. Comment le savoir ?  A qui m'adresser pour me présenter à la billetterie ? A qui demander des renseignements ? Qui est sourd, qui peut entendre ou lire sur les lèvres ? Je me trouve un moment totalement perdue, isolée. Finalement, les spectateurs commencent à entrer. L'entrée est gratuite mais sur réservation. Notre nom figure donc sur une liste et les placiers sont bilingues (français/LSF). 

    Je m'assoie et commence à observer les spectateurs qui s'installent, quelques entendants sont présents mais c'est surtout une majorité de personnes avec une déficience auditive qui assiste à la représentation.

Souvent, au sein d'un public d'entendants, on entend des bribes de conversation, les attentes de nos voisins au sujet de la représentation qui va se jouer ou la journée qu'ils viennent de vivre... Ici, je suis dans une bulle. Les spectateurs communiquent entre eux, entre différentes rangées, les conversations sont animées, les gestes fusent. L'un des spectateurs laisse échapper des sons gutturaux. Un son monocorde qui revient à chaque expiration et qui est parfois lié à des émotions comme le rire ou l'impatience suscité par un moment de suspense. Les applaudissements des spectateurs sont exprimés par un mouvement des deux mains et par les vibrations liées au frappement de leurs pieds sur le sol.  


Quelle perception du théâtre pour une même accessibilité? 

 

    De la représentation théâtrale, je n'ai saisi que très peu d'éléments. Il était difficile de comprendre le sens des gestes de ces acteurs qui étaient déficients auditifs mais ne pratiquaient pas du tout la langue des signes sur scène. Ils se présentaient donc uniquement comme des acteurs de Virtual Visual. Un débat a suivi la représentation. Avant que le Virtual Visual ne soit expliqué par Simon Attia, lui-même déficient auditif, une spectatrice entendante a ainsi demandé pourquoi il n'y avait pas de traduction pour que les personnes entendantes puissent aussi comprendre. Simon Attia a répondu qu'il s'agissait seulement d'une technique théâtrale qui n'utilisait pas le signe, aussi accessible aux déficients auditifs qu'aux entendants. Le professeur de théâtre a donc demandé a l'assemblée si déficients auditifs et entendants avaient compris les saynètes. Pour certains spectateurs déficients auditifs, c'était le cas, pour d'autres, non. Une réponse semblable chez les entendants, parfois déstabilisés par la fausse idée que les acteurs signaient et qu'il était difficile de distinguer un signe d'un geste de théâtre (ce qui a aussi été mon cas). 

    Et finalement, en théorie, pour une même accessibilité de représentation théâtrale - par la vue- c'est donc une même perception du théâtre pour les spectateurs déficients auditifs et les spectateurs entendants.
En pratique, la compréhension des spectateurs déficients auditifs face au théâtre virtuel visuel a-t-elle été favorisée par rapport à celle des entendants grâce à leur sensibilité à la communication visuelle ? C'est ce que semble confirmer l'un des acteurs " Par rapport au virtual visual, les sourds ont déjà ça en eux mais c'est quelque chose qu'ils n'utilisent pas. Là, on a laissé de côté la langue des signes, pour retrouver ça en nous".

vendredi 6 avril 2012

La musique pour les sourds : "Un fantasme d'entendant"

     Après une discussion avec l'un de mes directeurs de mémoire, j'ai pris contact avec un certain nombre d'associations de personnes sourdes et de professeurs de langue des signes afin de vérifier la faisabilité de mon travail de recherche puisque l'étape d'observation des sourds percevant la musique était compliquée. Il s'agissait aussi de voir si je ne devrais pas plutôt m'orienter vers le théâtre par exemple. Je n'ai eu qu'une réponse mais qui est assez significative.

Voici l'échange avec l'une des associations.

"Bonjour,
Je suis étudiante en quatrième année de communication et je rédige dans ce cadre un mémoire sur l’accessibilité de l’œuvre musicale aux personnes malentendantes et sourdes.
Je prends contact avec vous pour mener une enquête exploratoire à ce propos. Je cherche à observer la réaction d’adultes sourds et malentendants en situation d’écouter, de percevoir la musique (à bien distinguer du son). Sauriez-vous me dire si l’exercice est réalisable ou si je risque de ne jamais pouvoir observer cette situation ?
Il peut s’agir de cette situation dans des lieux culturels de musique où du matériel serait adapté pour que les personnes malentendantes et sourdes puissent percevoir la musique. Il peut aussi s’agir pour moi de rencontrer des adultes sourds qui pourraient témoigner (anonymement) de leur rapport à la musique s’ils ont pu la percevoir par des vibrations, des retranscriptions visuelles…, ce qu’elle évoque pour eux, ce qu’elle provoque en eux. 

L’objectif de cette enquête exploratoire est dans un premier temps de savoir si l’axe choisi n’est pas fermé et dans un second temps de commencer à recueillir quelques pistes de recherche.

En vous remerciant par avance,
Bien cordialement."

"Bonjour,
Observer la réaction de personnes en situation d'écoute implique que ces personnes entendent !
Or, par définition, les sourds n'entendent pas ! Nous faire percevoir la musique est un fantasme des entendants. C'est bien gentil, mais ce n'est pas sérieux. Depuis au moins 30 ans, on nous a proposé différents appareils pour transposer la musique en vibrations et/ou en lumière. Mais ça ne marche pas, car nos sens visuel et tactile ne sont pas aussi fins que l'audition. En pratique, il suffit de poser la main sur une enceinte pour percevoir les vibrations. On ne perçoit que le rythme et il est impossible de distinguer le type de musique. Un né sourd ne peut pas savoir ce qu'est une musique, ni faire la différence entre les types de musique.
Pour les malentendants, la situation est très variable et chaque cas est personnel. En effet, dans de nombreux cas, la surdité n'est pas seulement une diminution de l'acuité auditive, mais une perte de certaines fréquences. Ainsi, en général, les malentendants entendent assez bien les sons graves et pas du tout les aigus. La musique est donc déformée et chaque personne à sa perception personnelle en fonction de sa surdité.
Bref, il me semble que votre projet conduit à une impasse, on peut en faire le tour en trois pages !
Bien cordialement."


Une réponse qui semble évidente mais dont la question méritait d'être posée. En effet, si l'on se réfère à la loi du 11 février 2005, "Le principe d'accessibilité pour tous, quel que soit le handicap, est réaffirmé. Les critères d'accessibilité et les délais de mise en conformité sont redéfinis. Ainsi les établissements existants recevant du public et les transports collectifs ont dix ans pour se mettre en conformité avec la loi. Celle-ci prévoit aussi la mise en accessibilité des communes et des services de communication publique."

Il s'agit d'une accessibilité au bâti mais aussi à l'offre culturelle. Dès lors, permettre aux personnes déficientes auditives d'accéder à la musique entre dans le cadre de ce texte de loi théorique. En pratique, c'est très difficile, voire impossible. Les exemples de Christine Sun Kim ou encore du groupe rock FUMUJ (vidéo ci-dessous) permettent effectivement de faire ressentir la musique par le biais des vibrations et de l'art visuel (les encres forment des tracés en rebondissant grâce aux vibrations) ou encore de la langue des signes mais il ne s'agit pas la véritablement d'écouter de la musique.

Un "fantasme d'entendant" confirmé par un interprète français/ langue des signes française (LSF) de l'International Visual Theatre de Paris, qui a réagi avec la même véhémence que l'interlocuteur de l'association pour sourds et malentendants précédent, lorsque j'ai évoqué l'idée de musique accessible aux déficients auditifs.
Si une investigation plus profonde serait intéressante selon moi, ces réponses m'amènent à réorienter mon étude vers l'accès des déficients auditifs au théâtre. Une pratique culturelle qui utilise aussi le son mais sans s'y reposer uniquement et qui permet donc davantage de médiations.