vendredi 6 avril 2012

La musique pour les sourds : "Un fantasme d'entendant"

     Après une discussion avec l'un de mes directeurs de mémoire, j'ai pris contact avec un certain nombre d'associations de personnes sourdes et de professeurs de langue des signes afin de vérifier la faisabilité de mon travail de recherche puisque l'étape d'observation des sourds percevant la musique était compliquée. Il s'agissait aussi de voir si je ne devrais pas plutôt m'orienter vers le théâtre par exemple. Je n'ai eu qu'une réponse mais qui est assez significative.

Voici l'échange avec l'une des associations.

"Bonjour,
Je suis étudiante en quatrième année de communication et je rédige dans ce cadre un mémoire sur l’accessibilité de l’œuvre musicale aux personnes malentendantes et sourdes.
Je prends contact avec vous pour mener une enquête exploratoire à ce propos. Je cherche à observer la réaction d’adultes sourds et malentendants en situation d’écouter, de percevoir la musique (à bien distinguer du son). Sauriez-vous me dire si l’exercice est réalisable ou si je risque de ne jamais pouvoir observer cette situation ?
Il peut s’agir de cette situation dans des lieux culturels de musique où du matériel serait adapté pour que les personnes malentendantes et sourdes puissent percevoir la musique. Il peut aussi s’agir pour moi de rencontrer des adultes sourds qui pourraient témoigner (anonymement) de leur rapport à la musique s’ils ont pu la percevoir par des vibrations, des retranscriptions visuelles…, ce qu’elle évoque pour eux, ce qu’elle provoque en eux. 

L’objectif de cette enquête exploratoire est dans un premier temps de savoir si l’axe choisi n’est pas fermé et dans un second temps de commencer à recueillir quelques pistes de recherche.

En vous remerciant par avance,
Bien cordialement."

"Bonjour,
Observer la réaction de personnes en situation d'écoute implique que ces personnes entendent !
Or, par définition, les sourds n'entendent pas ! Nous faire percevoir la musique est un fantasme des entendants. C'est bien gentil, mais ce n'est pas sérieux. Depuis au moins 30 ans, on nous a proposé différents appareils pour transposer la musique en vibrations et/ou en lumière. Mais ça ne marche pas, car nos sens visuel et tactile ne sont pas aussi fins que l'audition. En pratique, il suffit de poser la main sur une enceinte pour percevoir les vibrations. On ne perçoit que le rythme et il est impossible de distinguer le type de musique. Un né sourd ne peut pas savoir ce qu'est une musique, ni faire la différence entre les types de musique.
Pour les malentendants, la situation est très variable et chaque cas est personnel. En effet, dans de nombreux cas, la surdité n'est pas seulement une diminution de l'acuité auditive, mais une perte de certaines fréquences. Ainsi, en général, les malentendants entendent assez bien les sons graves et pas du tout les aigus. La musique est donc déformée et chaque personne à sa perception personnelle en fonction de sa surdité.
Bref, il me semble que votre projet conduit à une impasse, on peut en faire le tour en trois pages !
Bien cordialement."


Une réponse qui semble évidente mais dont la question méritait d'être posée. En effet, si l'on se réfère à la loi du 11 février 2005, "Le principe d'accessibilité pour tous, quel que soit le handicap, est réaffirmé. Les critères d'accessibilité et les délais de mise en conformité sont redéfinis. Ainsi les établissements existants recevant du public et les transports collectifs ont dix ans pour se mettre en conformité avec la loi. Celle-ci prévoit aussi la mise en accessibilité des communes et des services de communication publique."

Il s'agit d'une accessibilité au bâti mais aussi à l'offre culturelle. Dès lors, permettre aux personnes déficientes auditives d'accéder à la musique entre dans le cadre de ce texte de loi théorique. En pratique, c'est très difficile, voire impossible. Les exemples de Christine Sun Kim ou encore du groupe rock FUMUJ (vidéo ci-dessous) permettent effectivement de faire ressentir la musique par le biais des vibrations et de l'art visuel (les encres forment des tracés en rebondissant grâce aux vibrations) ou encore de la langue des signes mais il ne s'agit pas la véritablement d'écouter de la musique.

Un "fantasme d'entendant" confirmé par un interprète français/ langue des signes française (LSF) de l'International Visual Theatre de Paris, qui a réagi avec la même véhémence que l'interlocuteur de l'association pour sourds et malentendants précédent, lorsque j'ai évoqué l'idée de musique accessible aux déficients auditifs.
Si une investigation plus profonde serait intéressante selon moi, ces réponses m'amènent à réorienter mon étude vers l'accès des déficients auditifs au théâtre. Une pratique culturelle qui utilise aussi le son mais sans s'y reposer uniquement et qui permet donc davantage de médiations.

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