samedi 2 juin 2012

La culture sourde : le refus d'être acculturé

    Aujourd'hui, je réalise un petit écart sociologique qui me semble important pour tenter de donner un élément de réponse à l'une des questions évoquées précédemment : 

    Pourquoi rendre accessible le théâtre aux déficients auditifs ?
Nous avions tout d'abord émis l'hypothèse du principe d'universalité avec en visée, la non-discrimination. Nous avions aussi noté le risque de nier la qualité de la différence, potentiellement créatrice (Charles Gardou).

    La culture sourde est décrite par Yves Delaporte, ethnologue et directeur de recherche au CNRS dans l'extrait La culture sourde.
Il définit d'abord la notion de culture : " L’ethnologie appelle « culture » tout ensemble d’écarts significatifs présenté par un groupe humain, et offrant une cohérence interne. Le concept de culture n’implique nullement une stabilité dans le temps : toutes les cultures évoluent. Il n’implique non plus que tous les traits d’une culture soient spécifiques : aucune ne pourrait répondre à une telle exigence. Il n’implique pas davantage une situation d’isolement : toutes les cultures font des emprunts aux groupes voisins. Ainsi tombent d’eux-mêmes la plupart des reproches qui sont faits à la notion de culture sourde. Ceux qui la pourfendent font simplement un contresens sur le contenu du concept de culture, dont ils se font une image figée et dogmatique."

Y. Delaporte étudie la pensée sourde à partir de la conception émique, c'est à dire celle des membres des groupes étudiés, ici, les déficients auditifs qui distinguent les traits différentiels entre sourds et entendants par l'expression "sourds typiques". La culture sourde se définit par l'ensemble de tout ses traits "sourds typiques". 

Il constate que "chaque langue découpe le monde à sa manière : la langue des signes française n’est pas un transcodage du français, elle en est même fort éloignée, et c’est bien pour cela que l’opération de traduction est toujours délicate. Qui dit langue dit vision du monde spécifique, et donc nécessairement culture." D'ailleurs, j'ai pu aussi faire ce constat lorsque j'ai dû retranscrire les témoignages reçus par mails des déficients auditifs qui s'exprimaient au sujet du théâtre, car les mails présentaient une grande quantité de fautes d'orthographe et de syntaxe. Leur langue dominante est la LSF pour la plupart et non le français, comme ceci a déjà été évoqué avec l'artiste Christine Sun Kim.

L’ethnologue note ainsi que que la culture sourde possède son propre humour, il ne s'agit pas de mime et n'est pas du tout compréhensible de celui qui ne connait pas la culture sourde. Il évoque aussi la manière de se présenter dans la culture sourde : chaque individu est défini par un système de nom qui l'identifie très spécifiquement, par un trait de caractère, un trait physique... et qui désigne entièrement l'individu, une originalité propre à la culture sourde. Y. Delaporte souligne aussi que "les relations sociales sont marquées par une forte ritualisation" avec des codes précis lors des repas notamment au niveau de l'attribution des places des convives selon leur sexe. Par ailleurs, il indique que les comportements au sein des réseaux de sociabilités se révèlent très proches de ceux qui sont créés dans une cellule familiale. 

L'extrait se conclut sur l'idée que la culture sourde est un mouvement identitaire qui évolue depuis 20 ans et qui n'exclut pas la culture majoritaire entendante. Il entrevoit une évolution positive, grâce à la nouvelle génération et aux études supérieures, du malentendu culturel qui existe entre sourds et entendants vers un biculturalisme.

Terminons sur cette vidéo avec les interviews de Marguerite Blais (évoquée dans ma revue de la littérature) et de Charles Gaucher, au sujet de la culture sourde. Marguerite Blais y évoque les sourds qui ne perçoivent pas les devenus sourds comme de "vrais sourds". Parce qu'ils ont déjà entendu, ces derniers ont pour les sourds, une culture davantage orientée vers la culture entendante. Les sourds profonds seraient aussi plus amenés à se rapprocher de la culture entendante alors que les malentendants gestuels percevraient leur culture comme étant plutôt la culture sourde car "ils se reconnaissent par leur langue et leur culture au détriment de ce que nous, entendants, appelons un "handicap", ils ne se voient pas comme des personnes handicapées". Elle évoque aussi cette entendante qui regarde la télévision sans le son et qui répond à la question "alors es-tu entendante ou sourde? c'est évident que je suis sourde", qui est beaucoup plus heureuse dans le monde des sourds. Elle souligne également le fait que les sourds ont plusieurs langues et que les sourds gestuels souhaitent aussi que leur langue soit reconnue car la langue est au cœur de l'identité d'un être humain. Charles Gaucher évoque par ailleurs, l'idée que l'identité sourde induit l'appartenance des sourds à une communauté d'intérêts et un univers symbolique qui fait référence à tous les traits différentiels que l'on évoquait précédemment.

La culture sourde
Interviews de Marguerite Blais et Charles Gaucher

Revenons à notre question : " Pourquoi rendre le théâtre accessible aux déficients auditifs ?
A la lumière de ces nouvelles informations, il est important de constater la complexité du sujet. 
Il faut donc rappeler :
  • Le rôle de la médiation culturelle et notamment dicté par la législation
  • Les différents types de surdité : sourds, malentendants, devenus sourds
  • Les différentes appartenances culturelles : culture sourde, culture entendante 
  • Le fait que la médiation culturelle ne peut pas s'adapter à tous les publics ( Elizabeth Caillet, je l'évoquais dans ma revue de la littérature)
Comment produire une médiation culturelle qui permette de rendre le théâtre accessible aux déficients auditifs, ayant une culture orientée pour certains davantage vers la culture sourde et pour d'autres vers la culture entendante ?

Une réponse possible : 
  • Un accès du théâtre des entendants via les moyens de médiations culturels humains et matériels (à recenser et noter les mises au point à effectuer en 2012)
  • Un théâtre pour les sourds de type Virtual Visual. Je rappelle qu'il ne s'agit pas d'un théâtre pour les sourds, il est accessible aux entendants, mais notre enquête exploratoire a révélé que les sourds étaient peut-être plus sensibilisés au caractère visuel que les entendants (compensation naturelle?)



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire