lundi 21 mai 2012

Enquête exploratoire 3/3 : le rapport des déficients auditifs au théâtre, témoignages.

     Afin de clore mon enquête exploratoire, j'ai envoyé un questionnaire à quelques personnes déficientes auditives par l'intermédiaire d'un contact personnel de l'APAJH. L'échange effectué par mail présente une qualité forcément inférieure à celle d'un entretien en face à face.

Cathy, 46 ans

Pouvez-vous préciser votre niveau de surdité si cela est possible même approximativement (je ne connais pas bien la surdité) ainsi que vos moyens de communiquer : langue des signes, oralité, langage complété, si vous utilisez plusieurs de ces moyens pouvez-vous les préciser?
J'ai une perte de 80% de l'audition et ma communication quotidienne est la langue des signes et l'oral puisque je suis moi même professeur de LSF (Langue des Signes Française) et dans ma famille je communique oralement. Avec mes enfants je fais les deux, et je porte parfois mon appareil auditif, je n'ai jamais connu le LPC (Langage Parlé Complété) car j'ai 46 ans, à l'époque cela n'existait pas encore.

Quel rapport entretenez-vous avec le théâtre?
J'aime beaucoup le théâtre, malheureusement je n'arrive pas à suivre, puisque j'essaie de lire sur les lèvres des comédiens, ce n'est pas évident et c'est fatiguant aussi.

Vous sentez-vous concernée par ce domaine culturel?
Je me sens très concernée par ce domaine car je trouve que ce n 'est pas la même ambiance que lorsqu'on va au cinéma et surtout après avoir lu un livre ou une pièce de Molière.
Au cinéma je vais voir les films sous titrés, c'est confortable alors qu au théâtre, il n 'y a pas de moyens pour les sourds, mais c est toujours agréable d'aller voir une pièce en vrai.

Quels moyens sont mis à votre disposition pour y accéder?
Pour les moyens au théâtre, avoir les boucles magnétiques, cela ne me sert à rien puisque j'entends que des voix et je ne capte pas. 

Vous-y rendez-vous? Si oui, à quelle fréquence? dans quels lieux ? Quel(s) outil(s) d'accessibilité préférez-vous pour votre type de déficience auditive? 
Par contre j allais souvent au théâtre à IVT (Théâtre International Visuel), à Paris, puisque c’était des comédiens sourds qui jouaient et signaient, un vrai confort.

Quelles perceptions en avez-vous?

Quelles réactions provoque-t-il chez vous?

Quelles attentes avez-vous vis-à-vis du théâtre d'une part et de son accessibilité d'autre part (moyens, nombre de lieux accessibles) ?
Je suis déçue qu'il n y a pas encore de moyens partout au théâtre en France, par exemple un ou des interprètes, présents sur la scène, ou bien un petit écran spécial pour sourds avec des sous-titres.
Je trouve que c'est très dommage que ça n'avance au niveau des moyens pour nous les sourds puisque cela nous permettrait d'avoir une vision beaucoup plus large au niveau de la littérature française, et de la culture française d'antan.

Sylvie, 50 ans, travaille à l'APAJH

Pouvez-vous préciser votre niveau de surdité si cela est possible même approximativement (je ne connais pas bien la surdité) ainsi que vos moyens de communiquer : langue des signes, oralité, langage complété, si vous utilisez plusieurs de ces moyens pouvez-vous les préciser?
Je suis sourde très profonde: je n'entends rien et je pratique la lecture labiale et je n'utilise pas le langage LSF. J'ai appris à parler grâce à la méthode verbo-tonale et à mes parents aussi. On m'a découverte sourde à 15 mois et mes parents se sont battus pour que je parle et que je sois intégrée dans la société. J'ai énormément travaillé pour surmonter mon handicap.

Quel rapport entretenez-vous avec le théâtre?
D'abord, je ne vais pas au théâtre à cause de ma surdité sévère. C'est très difficile de suivre les pièces et aussi " lire sur les lèvres des acteurs" est impossible!

Vous sentez-vous concernée par ce domaine culturel?
Oui, je me sens concernée par ce domaine culturel.
Je vais régulièrement au cinéma voir les films étrangers en version originale ou français avec les sous titres pour les sourds et les malentendants qui sont assez rares.

Quels moyens sont mis à votre disposition pour y accéder?
Je suis allée un fois au théâtre voir la pièce "Le malade Imaginaire" de Molière quand j'étais en 4ème au collège avec mon prof de français, j'ai d'abord lu le livre pour pouvoir y accéder. J'étais très heureuse mais ce n'était pas facile à suivre!

Vous-y rendez-vous? Si oui, à quelle fréquence? dans quels lieux ? Quel(s) outil(s) d'accessibilité préférez-vous pour votre type de déficience auditive?
J'aime beaucoup la culture donc j'aimerais pouvoir aller au théâtre...

Quelles perceptions en avez-vous?

Quelles réactions provoque-t-il chez vous?

Quelles attentes avez-vous vis-à-vis du théâtre d'une part et de son accessibilité d'autre part (moyens, nombre de lieux accessibles)
J'ai entendu dire qu'à aris, il existe un moyen mis à la disposition des sourds et des malentendants pour qu'ils accède au théâtre, il s'agit d'un télé-prompteur (système utilisé lors de notre journée associative APAJH). J'aimerais fort que cela se développe dans les théâtres!!!


Un couple, 51 ans tous les deux

Pouvez-vous préciser votre niveau de surdité si cela est possible même approximativement (je ne connais pas bien la surdité) ainsi que vos moyens de communiquer : langue des signes, oralité, langage complété, si vous utilisez plusieurs de ces moyens pouvez-vous les préciser?
Il s'agit d'une surdité a 100% pour mon mari et à 80% pour moi, nous utilisons donc la lecture sur les lèvres et la langue des signes, la communication auditive étant impossible.

Quel rapport entretenez-vous avec le théâtre?
Nous n'allons jamais au théâtre, ce n'est pas possible pour nous.

Vous sentez-vous concerné par ce domaine culturel?
Et en plus, nous ne sous sentons pas concernés par ce domaine culturel.

Quels moyens sont mis à votre disposition pour y accéder?
Vous-y rendez-vous? Si oui, à quelle fréquence? dans quels lieux ? Quel(s) outil(s) d'accessibilité préférez-vous pour votre type de déficience auditive?

Quelles perceptions en avez-vous?  
Cela n'est pas pour nous mais pour les entendants. Nous en sommes révoltés...

Quelles réactions provoque-t-il chez vous?


Quelles attentes avez-vous vis-à-vis du théâtre d'une part et de son accessibilité d'autre part (moyens, nombre de lieux accessibles) ?


Cristele, 41 ans, mariée, 3 enfants

 

Pouvez-vous préciser votre niveau de surdité si cela est possible même approximativement (je ne connais pas bien la surdité) ainsi que vos moyens de communiquer : langue des signes, oralité, langage complété, si vous utilisez plusieurs de ces moyens pouvez-vous les préciser?
J'ai une perte de 80 % d'audition ce qui veut dire que c'est proche de la surdité profonde. Je porte un appareil de temps en temps dans la vie professionnelle et lors des échanges avec ma famille non entendante -je suis mariée à un homme sourd profond- je communique en langue des signes, je l'utilise quotidiennement et c'est avec cette langue que je me sens à l'aise. Je n'ai jamais utilisé le LPC sauf pour le théâtre que je pratique depuis 6 ans .

Quel rapport entretenez-vous avec le théâtre?
Vous-y rendez-vous? Si oui, à quelle fréquence? quels lieux ? Quel(s) outil(s) d'accessibilité préférez-vous pour votre type de déficience auditive?
Quelles perceptions en avez-vous?
Quelles réactions provoque-t-il chez vous?
Le théatre est une passion qui me permet de m'exprimer sans complexe en langue sourde. Je peux surtout être proche du public signant ou non signant. Comment est-il devenu une passion? Je regardais tout simplement les pièces de théâtre jouées par les entendants à la télé malgré l'absence de sous-titrage. J'ai été fascinée par les comédiens (bon ou mauvais ?) et étant donné que je ne comprenais pas les conversations, je voulais absolument connaitre le déroulement de la scène : j'observais les personnages, leurs habits, les actes, les mouvements du visage et du corps... bien sûr je ressens de la déception et surtout la frustration de ne pas connaître le scénario, de ne pas me familiariser avec l'art théâtral.
Je peux en revanche, depuis maintenant 6 ans, m'impliquer dans le théâtre. Je pratique cette activité en tant qu'amatrice et pour une fois au théâtre c'est une présentation en langue sourde qui permet de montrer la culture sourde et de faire profiter du théâtre au public sourd. Ce sont des personnes qui ont été privées de culture générale étant enfants, et notamment le théâtre qui ne leur était pas accessible (à l'époque, le service interprète n'était pas connu et le sous-titrage inexistant). Même les boucles magnétiques pour les sourds sont inutiles car elles sont incompatibles et ne captent pas les voix et le problème c'est donc qu'il faut encore faire des efforts pour essayer de comprendre, après sa journée, pour lire sur les lèvres d'un interlocuteur. Les sourds ont besoin de souffler et d'un confort, de ne pas faire d'efforts supplémentaires....C'est ce qui explique ma présence dans la pièce de théâtre. Je fais partie d'un groupe qui varie de 3 à 6 personnes.

Vous sentez-vous concernée par ce domaine culturel?
Bien sûr que je me sens concernée par ce domaine culturel, c'est une communication très enrichissante et c'est un lieu d'intérieur ou je me sens épanouie car je peux m'exprimer librement et sans contrainte. Par contre, à l’extérieur , il y a plein d'obstacles qui m'empêchent de m'épanouir et je me sens inférieure dans la société (Les normes française sont trop exigeantes et non compatibles avec la communauté sourde, la culture sourde, l'éducation sourde, etc.).

Quels moyens sont mis à votre disposition pour y accéder?
Pour accéder au domaine culturel proposé par les villes, aucun, ou du moins incompatible car il n'y a pas d'accessibilité en langue sourde pour le public sourd sauf certaines exceptions auxquelles je ne peux accéder que rarement lorsqu'il y a la présence d'un interprète mais le choix n'est pas le mien. On nous dit "ça ou rien " c'est bien dommage car il y a un accès sans limite pour vous les entendants qui allez au théâtre avec vos goûts qui vous y rendez quand vous le souhaitez tandis que nous, non. Il y a une date. Cela peut être une pièce accessible une fois tous les 6 mois ou même pire 1 fois par an... et oui c'est très peu ... C'est comme le cinéma, plein de films nous sont présentés et cela me donne envie de les voir et bien non, pas de sous-titrage alors il faut attendre 6 mois à peu près pour la sortie d'un DVD... Est ce normal de connaitre les histoires tardivement, où est l'égalite entre sourd et entendant ? Bien sûr ce n'est pas la faute aux entendants mais à la société qui nous oublie malgré notre combat interminable...


Quelles attentes avez-vous vis-à-vis du théâtre d'une part et de son accessibilité d'autre part (moyens, nombre de lieux accessibles) ?
C'est bien dommage d'en arriver là, car si on avait l'accès nous aurions une réflexion et un recul plus important vis-à-vis de la société,  de l'art en général...

lundi 14 mai 2012

Enquête exploratoire 2/3 : observation à La Comédie Française

    Après avoir observé la réaction des déficients auditifs face à un théâtre sans adaptation, où ni déficient auditif ni entendant ne se trouvaient, à priori, en situation de handicap, il convenait d'amener l'observation au sein d'un théâtre accessible à la majorité de la population, la population entendante. L'objectif était d'abord de constater une perception puis d'étudier le rapport du déficient auditif à la compensation mise à disposition . Ma démarche a donc été la suivante. J'ai réservé une place pour une représentation où l'accessibilité des déficients auditifs au théâtre était permise. J'ai contacté la personne qui s'occupe de l'accessibilité à La Comédie Française et celle-ci m'a placée près des sièges réservés aux déficients auditifs, proches de la scène. La pièce qui se joue est Une puce, épargnez-la de Naomi Wallace.
(Source: La Comédie Française)

    Ainsi, je me trouve à côté d'un homme âgé venu avec sa compagne. Cet homme est appareillé et pas encore "aileté" selon les propos de sa compagne. Il porte un appareil auditif contour d'oreille et je ne saurais en dire plus (open-fit?). Il semblerait qu'il s'agisse d'une déficience liée à la vieillesse de cet homme. Pour suivre la représentation, le vieil homme bénéficie de deux aides compensatoires : la tablette électronique de visualisation des dialogues et la boucle magnétique.

Tablette électronique de visualisation des dialogues dans un théâtre
(Théâtre national Chaillot – Paris)
(Source: conférence La Ville est un monde de Marc Renard)

    Le rapport du vieil homme à la tablette électronique est assez significatif. "Comment est-ce que cela fonctionne?".  Le vieil homme se trouve plutôt désemparé lors de son premier contact avec l'objet qu'il compare à un Ipad. Sa compagne lui donne quelques conseils en cas de problème, le rebrancher par exemple. Mais la boucle magnétique que possède la femme ne fonctionne pas et elle demande à une placeuse de le changer. La représentation commence et la boucle magnétique du vieil homme ne semble pas fonctionner non plus. Ce dernier, pour l’anecdote, s'est mis à marcher à quatre pattes pour atteindre le côté de la salle et demander une autre tablette pour suivre le reste de la représentation, le retour à sa place s'est fait par le même procédé, un moment très cocasse !

    En revanche, je n'ai pas perçu les effets de la boucle magnétique. Déjà, en voici une définition :
"La boucle magnétique vous permet d'obtenir une grande qualité d'écoute dans certains lieux publiques, tels que les guichets d'informations, les cinémas, les églises, équipés d'un amplificateur de boucle magnétique. Pour cela, il suffit de passer sur la position T de votre appareil.
Le système FM comprend un sabot relié directement à l'aide auditive et un récepteur. Ceci permet d'amener directement le son dans l'aide auditive et d'avoir une meilleure qualité d'écoute pour les personnes présentant une surdité importante." (Source: Laboratoire Thomassin)

La boucle magnétique (Source: Surdi49)


    Ce couple avait quelques amis dans la rangée derrière qui tenaient aussi la tablette électronique entre les mains et n'avaient visiblement pas eu de soucis pour l'utiliser d'après la brève discussion que j'ai pu entendre après la représentation. Il en est ressorti aussi que la boucle magnétique avait produit des grésillements dans l'appareil auditif d'un des spectateurs du groupe.


    C'est donc un bilan mitigé qui se dessine à l'aune de ces observations et qui suscite quelques interrogations :
  • Ces moyens de compensation ne nuisent-ils pas davantage à l'audibilité de l’œuvre théâtrale?
  • Les nouvelles technologies sont-elles accessibles à tous les spectateurs déficients auditifs : âge, niveau socio-culturel...
  • L'accompagnement humain dans la mise en accessibilité matérielle est-il suffisant?

vendredi 27 avril 2012

Enquête exploratoire 1/3 : la technique théâtrale du Virtual Visual


    L'angle du théâtre désormais validé, il convient dans un premier temps de se confronter directement à la relation entre le théâtre et les personnes sourdes et malentendantes. 
Quelle réaction ont les sourds et les malentendants face au théâtre ? 

    Cette question nous amène à cette nouvelle interrogation: quel théâtre ? 
Puisque nous souhaitons observer très simplement un comportement, il s'agit dans un premier temps d'observer un théâtre qui ne soit pas adapté aux personnes sourdes et malentendantes, un théâtre où ni déficient auditif ni entendant ne se trouvent en situation de handicap.


Enquête exploratoire

 

    Je me suis donc rendue à l'International Visual Theatre, à Paris, pour assister à la représentation théâtrale de Simon Attia, professeur de théâtre et comédien, qui a animé un atelier de pratique artistique sur les techniques du « virtual visual ». Créé aux États-Unis dans les années 60, le VV est une technique de narration visuelle qui nécessite une implication corporelle totale de la part du comédien qui la pratique. Il n'est fait aucune utilisation de la langue des signes française ni du langage. Simon Attia, le VV relève de la chorégraphie avec les mains et le corps. "Les thèmes des saynètes ont été choisis à partir de quatre thèmes: une personne, un objet, un déplacement, un animal. L’inspiration provient d'images personnelles de l'esprit (un porte-avion...), parfois de BD. Il s'agit de faire ressortir des images sur des choses simples. Ce n'est ensuite pas un simple geste qui est réalisé mais un focus sur les éléments. Il s'agit d'aller chercher des choses en soi".

 


    Arrivée à l'IVT, je suis confrontée à une vraie difficulté. Face à moi dans le hall du théâtre, les personnes ne communiquent qu'en langue des signes française (LSF) y compris le jeune barman qui semble visiblement malentendant. Comment le savoir ?  A qui m'adresser pour me présenter à la billetterie ? A qui demander des renseignements ? Qui est sourd, qui peut entendre ou lire sur les lèvres ? Je me trouve un moment totalement perdue, isolée. Finalement, les spectateurs commencent à entrer. L'entrée est gratuite mais sur réservation. Notre nom figure donc sur une liste et les placiers sont bilingues (français/LSF). 

    Je m'assoie et commence à observer les spectateurs qui s'installent, quelques entendants sont présents mais c'est surtout une majorité de personnes avec une déficience auditive qui assiste à la représentation.

Souvent, au sein d'un public d'entendants, on entend des bribes de conversation, les attentes de nos voisins au sujet de la représentation qui va se jouer ou la journée qu'ils viennent de vivre... Ici, je suis dans une bulle. Les spectateurs communiquent entre eux, entre différentes rangées, les conversations sont animées, les gestes fusent. L'un des spectateurs laisse échapper des sons gutturaux. Un son monocorde qui revient à chaque expiration et qui est parfois lié à des émotions comme le rire ou l'impatience suscité par un moment de suspense. Les applaudissements des spectateurs sont exprimés par un mouvement des deux mains et par les vibrations liées au frappement de leurs pieds sur le sol.  


Quelle perception du théâtre pour une même accessibilité? 

 

    De la représentation théâtrale, je n'ai saisi que très peu d'éléments. Il était difficile de comprendre le sens des gestes de ces acteurs qui étaient déficients auditifs mais ne pratiquaient pas du tout la langue des signes sur scène. Ils se présentaient donc uniquement comme des acteurs de Virtual Visual. Un débat a suivi la représentation. Avant que le Virtual Visual ne soit expliqué par Simon Attia, lui-même déficient auditif, une spectatrice entendante a ainsi demandé pourquoi il n'y avait pas de traduction pour que les personnes entendantes puissent aussi comprendre. Simon Attia a répondu qu'il s'agissait seulement d'une technique théâtrale qui n'utilisait pas le signe, aussi accessible aux déficients auditifs qu'aux entendants. Le professeur de théâtre a donc demandé a l'assemblée si déficients auditifs et entendants avaient compris les saynètes. Pour certains spectateurs déficients auditifs, c'était le cas, pour d'autres, non. Une réponse semblable chez les entendants, parfois déstabilisés par la fausse idée que les acteurs signaient et qu'il était difficile de distinguer un signe d'un geste de théâtre (ce qui a aussi été mon cas). 

    Et finalement, en théorie, pour une même accessibilité de représentation théâtrale - par la vue- c'est donc une même perception du théâtre pour les spectateurs déficients auditifs et les spectateurs entendants.
En pratique, la compréhension des spectateurs déficients auditifs face au théâtre virtuel visuel a-t-elle été favorisée par rapport à celle des entendants grâce à leur sensibilité à la communication visuelle ? C'est ce que semble confirmer l'un des acteurs " Par rapport au virtual visual, les sourds ont déjà ça en eux mais c'est quelque chose qu'ils n'utilisent pas. Là, on a laissé de côté la langue des signes, pour retrouver ça en nous".

vendredi 6 avril 2012

La musique pour les sourds : "Un fantasme d'entendant"

     Après une discussion avec l'un de mes directeurs de mémoire, j'ai pris contact avec un certain nombre d'associations de personnes sourdes et de professeurs de langue des signes afin de vérifier la faisabilité de mon travail de recherche puisque l'étape d'observation des sourds percevant la musique était compliquée. Il s'agissait aussi de voir si je ne devrais pas plutôt m'orienter vers le théâtre par exemple. Je n'ai eu qu'une réponse mais qui est assez significative.

Voici l'échange avec l'une des associations.

"Bonjour,
Je suis étudiante en quatrième année de communication et je rédige dans ce cadre un mémoire sur l’accessibilité de l’œuvre musicale aux personnes malentendantes et sourdes.
Je prends contact avec vous pour mener une enquête exploratoire à ce propos. Je cherche à observer la réaction d’adultes sourds et malentendants en situation d’écouter, de percevoir la musique (à bien distinguer du son). Sauriez-vous me dire si l’exercice est réalisable ou si je risque de ne jamais pouvoir observer cette situation ?
Il peut s’agir de cette situation dans des lieux culturels de musique où du matériel serait adapté pour que les personnes malentendantes et sourdes puissent percevoir la musique. Il peut aussi s’agir pour moi de rencontrer des adultes sourds qui pourraient témoigner (anonymement) de leur rapport à la musique s’ils ont pu la percevoir par des vibrations, des retranscriptions visuelles…, ce qu’elle évoque pour eux, ce qu’elle provoque en eux. 

L’objectif de cette enquête exploratoire est dans un premier temps de savoir si l’axe choisi n’est pas fermé et dans un second temps de commencer à recueillir quelques pistes de recherche.

En vous remerciant par avance,
Bien cordialement."

"Bonjour,
Observer la réaction de personnes en situation d'écoute implique que ces personnes entendent !
Or, par définition, les sourds n'entendent pas ! Nous faire percevoir la musique est un fantasme des entendants. C'est bien gentil, mais ce n'est pas sérieux. Depuis au moins 30 ans, on nous a proposé différents appareils pour transposer la musique en vibrations et/ou en lumière. Mais ça ne marche pas, car nos sens visuel et tactile ne sont pas aussi fins que l'audition. En pratique, il suffit de poser la main sur une enceinte pour percevoir les vibrations. On ne perçoit que le rythme et il est impossible de distinguer le type de musique. Un né sourd ne peut pas savoir ce qu'est une musique, ni faire la différence entre les types de musique.
Pour les malentendants, la situation est très variable et chaque cas est personnel. En effet, dans de nombreux cas, la surdité n'est pas seulement une diminution de l'acuité auditive, mais une perte de certaines fréquences. Ainsi, en général, les malentendants entendent assez bien les sons graves et pas du tout les aigus. La musique est donc déformée et chaque personne à sa perception personnelle en fonction de sa surdité.
Bref, il me semble que votre projet conduit à une impasse, on peut en faire le tour en trois pages !
Bien cordialement."


Une réponse qui semble évidente mais dont la question méritait d'être posée. En effet, si l'on se réfère à la loi du 11 février 2005, "Le principe d'accessibilité pour tous, quel que soit le handicap, est réaffirmé. Les critères d'accessibilité et les délais de mise en conformité sont redéfinis. Ainsi les établissements existants recevant du public et les transports collectifs ont dix ans pour se mettre en conformité avec la loi. Celle-ci prévoit aussi la mise en accessibilité des communes et des services de communication publique."

Il s'agit d'une accessibilité au bâti mais aussi à l'offre culturelle. Dès lors, permettre aux personnes déficientes auditives d'accéder à la musique entre dans le cadre de ce texte de loi théorique. En pratique, c'est très difficile, voire impossible. Les exemples de Christine Sun Kim ou encore du groupe rock FUMUJ (vidéo ci-dessous) permettent effectivement de faire ressentir la musique par le biais des vibrations et de l'art visuel (les encres forment des tracés en rebondissant grâce aux vibrations) ou encore de la langue des signes mais il ne s'agit pas la véritablement d'écouter de la musique.

Un "fantasme d'entendant" confirmé par un interprète français/ langue des signes française (LSF) de l'International Visual Theatre de Paris, qui a réagi avec la même véhémence que l'interlocuteur de l'association pour sourds et malentendants précédent, lorsque j'ai évoqué l'idée de musique accessible aux déficients auditifs.
Si une investigation plus profonde serait intéressante selon moi, ces réponses m'amènent à réorienter mon étude vers l'accès des déficients auditifs au théâtre. Une pratique culturelle qui utilise aussi le son mais sans s'y reposer uniquement et qui permet donc davantage de médiations.

vendredi 23 mars 2012

Le déficient auditif : un Autre entendant

    Lorsqu'on évoque la surdité, on emploie le terme "handicap" pour le qualifier. Pourtant, Michel Poizat rappelle dans son ouvrage "La voix sourde, la société face à la surdité", qu'il s'agit en réalité d'un handicap partagé. Il décrit ainsi la symétrie du handicap : "Face à un sourd, l'autre (entendant-parlant) ne peut pas se faire entendre normalement et face à l'autre (entendant-parlant), le sourd-muet ne peut pas se faire entendre non plus." La symétrie du handicap peut être brisée par l'oralité à condition que le sourd-muet puisse lire sur les lèvres de l'entendant mais selon J. Dardenne, cité par Poizat : "Une labialité exactement compensatrice de l'audibilité n'existe pas".
    
    Le rapport de parole sourd-non sourd peut produire deux situations définies par J. Dardenne

    La première situation est dite "prototype oraliste". Le sourd s'adresse au non sourd qui pense être dans un rapport de parole "classique" en s'appuyant sur le présupposé que l'Autre entend et parle. Le risque de cette situation que Poizat explique, c'est qu'un trouble apparaisse chez l'entendant, lié à des difficultés de dialogue et des limites à la lecture labiale chez le non-entendant, lors de l'échange. Le sourd cesse alors d'incarner cet Autre auquel s'adresse l'entendant et s'apparente à l'étrangeté. Le trouble peut être évité ou estompé si la surdité est révélée. Alors signifiée à l'autre entendant, la surdité n'est plus source d'étrangeté. Le grand Autre supposé entendre peut alors être restauré dans sa présence entendante mais grâce à une transposition de l'ordre du visuel. Il  incarne ainsi un petit autre sourd mais "voyant-entendant", au moyen de ses yeux, les gestes et les paroles qu'on lui adresse. 

Poizat fait un petit rappel étymologique très pertinent au sujet du terme "entendre". Il note qu'au sens strict "entendre" vient du verbe latin "intendere" qui signifie "tendre vers", d'où porter son attention vers". Le sourd peut en ce sens, aussi faire figure d' "entendant" aussi bien qu'un non sourd.

    La seconde situation est dite "gestualiste". Dans ce cas, le grand Autre supposé entendre et répondre est difficile à incarner car le petit autre sourd est immédiatement visible. Face à lui l'entendant risque de réagir par la fuite et l'esquive, identifiant un "phénomène démoniaque" sauf si la surdité est immédiatement identifiée. Là, l'entendant "n'est pas surpris, est accueillant et décontracté" selon les observations de Dardenne. Il faut que la restauration du rapport de parole se fasse par la transposition dans le registre visuel permettant la réhabilitation de cet Autre présent et "entendant".  

    Poizat évoque le modèle semi-oraliste comme celui qui semble donner les meilleurs résultats. En effet le déficient auditif utilise d'abord la structure de la parole et transpose très vite l'échange dans le registre visuel. Ainsi, le trouble est évité ou rapidement dissipé. Un cas qui pourrait aussi être connu par le déficient auditif gestualiste si la situation gestualiste était directement perçue par l'entendant comme un signe de surdité, éliminant ainsi la perception d'un phénomène diabolique et indiquant une communication possible.

    Plusieurs axes peuvent donc être dégagés de cet exposé. D'abord, la surdité présuppose un émetteur et un récepteur. Dans une conversation, la surdité induit un rapport qui implique que la notion de handicap qui la qualifie soit complétée. On parle alors de "handicap partagé" ou de "handicap incident". 
Cela nous rappelle aussi que nous sommes tous concernés et nous renvoie au principe d'universalité de Charles Gardou. Cela nous apprend aussi que le sourd peut entendre, sous certaines conditions, c'est à dire recevoir une information et y répondre, à sa manière.
Enfin, Poizat nous indique que la perception du geste comme étant un signe de surdité rassurant avec une communication possible et non pas un phénomène diabolique inconnu suggérant une communication incertaine, n'est pas encore évidente chez l'être humain, dans cette société. Cette idée renvoie également à ce principe universel de l'être humain confronté à sa condition limitée, la seule qu'il ne connaitra jamais, induisant la peur de ce qui lui est inconnu.

vendredi 16 mars 2012

Mon rapport aux objets de recherche 2/2 : la déficience auditive

A l’université, lorsqu’on a évoqué le mémoire et le temps qu’il nous occuperait l’esprit, on nous a conseillé de choisir un thème qui évidemment nous intéresse vraiment, j’ai immédiatement pensé à la danse, comme moyen d’expression et de communication.

    Passionnée de danse, je l’ai pratiquée pendant quinze ans sous différentes formes : moderne-jazz ; initiations à la salsa et à la street-dance. Ce choix m’aurait conduite à une étude trop anthropologique et quelque peu éloignée de ma discipline qu’est la communication. C’est ainsi que naturellement, ma sensibilité pour l’être humain s’est intégrée au projet de mémoire, sans pour autant oublier l’univers de la danse, bien au contraire. Les êtres humains, je les conçois libres et égaux en droits. Difficile de capter l’essence de cette volonté de parfaite égalité, d’absence de discrimination qui me caractérise et fait de moi une justicière des temps modernes. Il semble toutefois, que mes études de Lettres Modernes ont de nouveau à voir avec cet attrait pour la moralité. L’étude d’un ouvrage débouchait souvent sur une leçon de morale, un apprentissage. J’évoquais l’identification précédemment, et je pense avoir retiré moi-même beaucoup de mes lectures, de cet aspect moral et en particulier, dans le rapport aux autres. Fascinée par la sensation de liberté que me procure la danse et au bien qu’elle peut me faire, j’ai imaginé qu’on puisse mettre ce pouvoir au service des autres. Aussi, j’ai pensé à la danse comme médiation, outil avec un véritable rôle de passeur, à la sensation de liberté, d’accès au bien-être d’autrui. J’avais à l’esprit, ce pouvoir de la danse utilisée comme moyen pour les personnes sourdes et malentendantes de ressentir la musique, par le biais de ses vibrations. Ce pouvoir, au sens fantastique du terme, confortait l’idée de vecteur extraordinaire que j’avais de la danse.



    Afin d’éviter la voie anthropologique et de ne pas risquer le hors sujet, je me suis donc centrée sur l’accès de la musique, support presque indissociable de la danse et fragment important de la culture, aux personnes porteuses d’une déficience auditive. Je gardais en tête, cette possibilité d’aller, dans le cadre de mon enquête de terrain, à la rencontre de ce vecteur de culture musicale, qu’est la danse, parmi les médiateurs destinés aux personnes sourdes et malentendantes. 

    Je n'ai pas plus de lien avec la déficience auditive, quelques élèves sourds et malentendants étaient bien intégrés dans mon école primaire mais il ne faut pas y voir de relation particulière. Ma mère, elle, travaille pour l'APAJH (Association Pour Adultes et Jeunes Handicapés) dans un service qui accueille surtout les déficients visuels. Là encore, je ne pense pas avoir hérité d'une sensibilité spécifique. Mon jeune parcours intégrant mes lectures en est pour moi, l'unique source. 


vendredi 9 mars 2012

Mon rapport aux objets de recherche 1/1: la culture

    Aborder pour moi cette question de la médiation culturelle et des handicapés relève de deux sensibilités propres à mon parcours de vie. Évoquons aujourd'hui, cette notion de culture. Elle m’est parvenue assez tardivement. Seule abonnée de la classe au « Livre du mois » à l’école primaire, j’étais encouragée à lire par mes parents. Pourtant, si j’étais sensible à l’objet esthétique, ces livres, je ne les lisais que très peu.  Il faudra attendre dix ans pour que je vienne à la lecture de mon propre chef. Enfin, de mon propre chef, pas vraiment. Vivement intéressée par le journalisme, j’ai souhaité étudier l’information et la communication lors de mes études supérieures. Valider deux ans de lettres modernes m’était alors nécessaire pour pourvoir accéder au domaine désiré. Deux ans où j’ai appris à lire et surtout à aimer lire. Plus que l’objet esthétique, le plaisir s’ancrait peu à peu dans un ensemble encore indéfini. Il s’agissait de nouvelles sensations : identification aux personnages ; connaissances historiques et géographiques qui prenaient sens dans le contexte de l’ouvrage, mes voyages qui donnaient vie aux lieux fictifs. Cet ensemble qui prenait sens définit ma propre culture. Ce qui me séduit en elle, ce sont les ramifications infinies qui la parcourent. Ainsi, lorsqu’on étudiait un livre, on pouvait aussi analyser ses versions cinématographiques, l’œuvre picturale ou musicale que l’auteur avait à l’esprit au moment de l’écriture de l'ouvrage. Je pense à Tolstoï, et sa « Sonate à Kreutzer ». Il peut encore s’agir d’intégrer de véritables ballets de danse comme dans Les Chaussons Rouges, film de Michael Powell et Emeric Pressburger de 1948. Et c’est de cette manière que s’étendent les ramifications.

Le titre du roman de Léon Tolstoï fait référence à la Sonate pour violon et piano n° 9 en la majeur, dite « Sonate à Kreutzer », de Ludwig van Beethoven, que joue l’un des protagonistes de l’ouvrage.


"Beethoven est déchiré d'abord en lui-même, par lui-même, par cette terrible surdité qui l'a assailli dans son rapport avec ses semblables mais en laissant intacte sa puissante faculté de création.
    La surdité de Beethoven est l'une des clefs de sa personnalité. Elle a commencé à l'accabler à l'âge de 26 ans pour devenir complète et irrémédiable à 49 ans.
Cette infirmité, écrira-t-il, «m'a presque conduit au désespoir, un peu plus et j'en aurais terminé avec la vie - ce fut mon art qui me retint de le faire. Ah! il me semblait impossible de quitter le monde avant d'avoir exprimé tout ce que je sentais m'habiter...».1"
[...]
 
1- Grout, Dictionnary of Occidental Music, p.524.
Source:  Encyclopédie de l'Agora